La dernière porte

J'ouvre les yeux difficilement. Je frissonne, l'air ambiant s'est rafraîchi depuis quelques jours. De là où je suis, j'aperçois un bout du ciel, parsemé de nuages du gris clair au gris foncé. Le bleu a disparu. La saison automnale s'annonce. Je ferme les yeux et se dessine alors sous mes paumières un paysage vallonné, avec ses forêts de feuillus aux couleurs d'or et de rouille aux nuances intenses. Je m'y promène, la plupart du temps en présence de mes fidèles compagnes, truffes au sol, reniflant la mousse, soulevant les feuilles déposées ici et là, s'arrêtant subitement au pied d'un arbre pour aboyer sur l'écureuil qui, imperturbable, poursuit son ascension... c'est comme si j'y étais, là, maintenant...

Je n'ai pas très faim ce matin. J'ai encore les yeux lourds du sommeil artificiel, et même l'odeur délicate du café qui parvient à mes narines ne m'incite pas à sortir plus rapidement de mon lit. Cela fait un moment de toute façon qu'il ne m'est plus destiné. C'est pourtant un jour heureux, ma fille arrive et pose ses valises à demeure le temps nécessaire ; Hier au téléphone, j'ai perçu un mélange de joie et tristesse dans sa voix. « J'arrive maman, je serai là dans le milieu de l'après-midi, ne t'inquiète pas j'ai mes clés ». De toute façon, je ne serai pas loin, je vais l'accueillir chaleureusement, sereinement. J'ordonne par avance à mes émotions de se tenir tranquilles. J'ai préparé sa venue, tout est inscrit sur un papier posé sur la table de la cuisine. Elle ne va pas chômer... Ses petits, mes petits, restés avec leur père la rejoindront le temps du week-end. Encore un petit instant, dans le confort tout relatif de ce lit, installé au milieu de mon salon depuis déjà de longues semaines, je concentre toutes mes forces, Marianne va arriver d'une minute à l'autre, avec son entrain habituel, cette légèreté joyeuse, laissant comme un courant d'air frais dans son sillon... « Bonjour, bonjour, comment s'est passée votre nuit ? » et sans attendre de réponse particulière, elle tourbillonnera dans la maison et fera la conversation, même aux murs. Je ne serai plus seule et cela me rassure.

La télévision allumée en fond transforme la pièce en dance floor, je fronce les sourcils avant d'ouvrir les yeux pour en atténuer l'intensité lumineuse, je me redresse douloureusement ; il fait sombre, j'allume la petite lampe que Marianne a rapproché de mon fauteuil. Je me suis assoupie, je regarde ma montre, finalement le temps s'écoule plus vite que je ne le pensais. Marianne est partie depuis plusieurs heures et ma fille chérie ne devrait plus tarder. A cette idée, se marque sur mon visage fatigué un sourire, mon corps se relâche de ses tensions, mon esprit s'éclaircit ; je sens la vie s'accrocher à moi, l'envie de faire comme si tout cela n'existait pas, je pince la peau de mes pommettes pour rosir légèrement mon teint cireux. J'attends...

Un doux baiser posé délicatement sur mon front puis un tendre « maman, c'est moi » au creux de mon oreille, elle est arrivée sans faire de bruit, à pas feutrés de peur de me sortir trop brutalement de mon assoupissement. « Je suis là maintenant », ces mots m'apaisent, ma respiration se pose tranquillement, j'aimerai tant la serrer fort dans mes bras, je lui réponds à demi-mot, presque inaudible, « ma chérie, merci » dans mon dernier souffle de vie.

Je continue mon chemin en emportant sa chaleur, son odeur dans mon cœur, je suis heureuse, légère, en paix. Je me laisse conduire par ce halo de lumière blanche intense, le temps s'est arrêté. Tel l'écureuil sur son arbre, je poursuis mon ascension jusqu'à la dernière porte.

#à Nicolle

Maxou

Fin de quatrième, je quittais mon collège de campagne pour intégrer une école privée en ville à une trentaine de kilomètres de chez moi, dans laquelle exerçaient encore des frères. Mon père me déposerait chaque matin avant de se rendre au travail et ma mère ferait le trajet chaque fin de journée. Tout était organisé. J'avais un bon dossier scolaire de mes premières années de collège, ma demande d'inscription avait en conséquence vite reçu une réponse positive. A la rentrée, tout serait nouveau pour moi, nouvel établissement, nouveaux professeurs, nouveaux camarades... et je serai "la nouvelle".

Troisième E, c'est là que tout a commencé entre Maxou et moi. Après plusieurs tours à me perdre dans les couloirs de l'immense bâtiment principal, j'entrai dans la classe indiquée à côté de mon nom inscrit sur une des nombreuses listes d'appel qui couvraient le mur d'information des collégiens. Je parcourus du regard la salle de classe, nous devions être au moins trente et je ne connaissais personne. Une place vide, une seule, à côté d'un garçon. Cheveux blonds, coiffés en brosse hirsute, accoudé à la table, un air de se demander ce qu'il fait là. Je le saluai d'un bonjour presque inaudible avec un sourire non moins timide aux lèvres. Il leva la tête, nos regards se croisèrent et quelque chose se passa.

Maxime Lentrebecq, Max pour les intimes, Maxou pour moi. Dès ce premier jour, j'appris qu'il était le capitaine de l'équipe de foot depuis un moment déjà ; plus tard, je sus que ses parents, des éleveurs bovins de la Meuse, l'avaient inscrit en pension depuis la maternelle, il ne rentrait chez lui que le week-end. J'étais encore très loin de m'imaginer qu'il serait le meilleur voisin de classe, et bien plus encore, dont on puisse rêver. Son charme opéra immédiatement me rendant plus que mal à l'aise. Au fil des semaines, nous créâmes des liens forts, comme fraternels. Moi, aînée d'une famille de trois enfants, lui benjamin d'une famille de quatre enfants, les rôles s'inversèrent naturellement. Maxou devint le grand frère que je n'avais jamais eu et moi la petite sœur tant désirée. Il m'avait surnommée Bleue avec un air moqueur dès le tout premier appel de présence... Bleue comme la nouvelle, bleu comme le pull d'Isabelle Adjani... facile à propos étant donné mon prénom. Même s'il m'avait fortement agacé au départ en me baptisant de la sorte, notre complicité fit rapidement des jaloux et des jalouses autour de nous... Pour alléger nos cartables, nous avions décidé de ne prendre qu'un livre sur deux. Pas de stress pour la panne sèche d'encre dans le stylo plume, la gomme égarée ou la copie double oubliée pour le contrôle d'histoire géographie, nous étions l'un et l'autre toujours prêts à faire face l'un pour l'autre. Le seul moment où nous étions séparés était le temps du cours d'éducation physique et sportive, deux heures deux fois par semaine ; il adorait le sport, moi pas plus que cela. Nous formions un "couple" indicible, à propos duquel de nombreuses rumeurs se firent entendre... "Oh les amoureux!" entre autres choses (ce que l'on peut être stupide à quinze ans), ce qui nous faisait bien rire en fait. Si Maxou avait été une fille, je pense que je lui aurai offert un collier d'amitié "meilleures amies pour toujours" pour sceller notre amitié sincère et entière, un cœur brisé sur le deuxième F de Best Friend Forever pendant à une chaîne et ne demandant qu'à être réuni, à l'occasion de notre anniversaire de rencontre. Très fille, trop fille. A la place, je lui ai offert un maillot de foot bleu marine (clin d’œil à mon surnom) floqué au dos de "Maxou BFF number 1". Cela m'a valu quelque raillerie sur le moment mais croyez le ou non, il le ne quittait plus.

Au fil des mois, des années, nous partagions outre toujours la même table de classe, notre goût pour la littérature et l'art en général, pour les sciences naturelles et la biologie, autant que nos efforts acharnés et payants finalement à suivre les cours de mathématiques et de physique - chimie. Il se destinait à être chercheur en agronomie, moi je n'avais rien défini encore. Nous avions choisi tous deux de suivre une filière scientifique jusqu'au baccalauréat, sainte voie pour ouvrir les perspectives d'avenir en grand...

Dans quelques semaines, nous passerions le bac puis profiterions des grandes vacances pour recharger les batteries avant l'envolée vers les facultés, les instituts techniques... Pour l'heure, les sportifs du lycée étaient sur le pied de guerre ; une rencontre sportive inter lycée était programmée ce week-end ; les équipes de football, handball et du club d'athlétisme de notre lycée et de cinq autres du département allaient s'affronter pour que les meilleurs gagnent. Bien entendu, Maxou était tout excité à l'approche de cet évènement. Aucun sportif n'avait ménagé ses efforts de préparation, enchaînant matchs amicaux et entraînements physiques. La météo devait être clémente durant ces deux jours intensifs et festifs. Les parents d'élèves étaient conviés. Partout dans le lycée, l'effervescence se faisait sentir, l'ambiance était joyeuse et un peu électrique, légère mais sérieuse à la fois.

Maxou et l'équipe de footballeurs se préparaient pour le dernier match, décisif, menant à la victoire sans aucun doute. Nous étions dimanche, le soleil brillait et chauffait presque trop fort. Les lycéens, les parents, les frères et sœurs, les professeurs étaient tous rassemblés autour du stade pour soutenir, encourager les athlètes. La première mi-temps semblait encourageante, d'ici quelques minutes, les joueurs reprendraient leur course vers la victoire. Je ne quittais pas des yeux mon beau capitaine, tout en riant et discutant avec mes amies... Mon statut de bleue était bien loin derrière, même si le surnom était resté, plus affectif que moqueur désormais.

Soudain, toute l'assemblée retint son souffle, une passe appropriée de Stéphane à Maxou allait permettre de clore la période en menant l'équipe du lycée à la victoire. Maxou concentré, en nage, leva la jambe, s'apprêtant à shooter dans le ballon... Il s'écroula subitement à terre. Ah ces footballeurs, quels comédiens! Personne n'était pourtant venu à son contact pour parer son tir... La précipitation, les cris, les ordres d'appel des secours qui s'enchaînèrent la seconde suivante me tétanisèrent. Je crus entendre "il n'y a plus rien à faire, il est mort" juste avant que je ne perde connaissance... Au loin, les sirènes retentirent pour avertir de l'arrivée rapide des pompiers... Rupture d'anévrisme, rien ne pouvait présager ce drame. Maxou ne fêterait pas ses dix-huit ans, ne passerait jamais son baccalauréat, et surtout personne ne viendrait le remplacer sur la chaise à côté de la mienne en classe pour quelques semaines encore... Il resterait l'unique meilleur voisin de classe de toute mon existence.

Hiver 2017

Nous sommes début d'hiver 2017, je rentre chez moi après une grosse journée de travail. La route qui me conduit à la maison m'est familière et à la fois tellement mouvante. Chaque saison a ses parures. A l'approche de Noël, les ampoules lumineuses décorant les sapins projettent des rayons multicolores et joyeux aux travers des vitres des fenêtres aux volets encore ouverts, les portes d'entrée se garnissent de couronnes variées...
Ce soir il est tard, plus tard qu'à l'accoutumée. La réunion de seize heures s'est éternisée. Vingt heures dix... Plus un chat dehors, nuit noire, une pluie fine s'est mise à tomber au moment même où je sortais du bâtiment G abritant la société pour laquelle je travaille depuis dix ans bientôt. Seules les volutes de fumée, témoin du froid extérieur, et les odeurs alléchantes des soupes et autres dîners en préparation accompagnent ma marche silencieuse.
Bien sûr ce matin, le soleil blanc d'hiver qui perçait la mince couverture nuageuse encombrant le ciel ne m'a pas invité à prendre par précaution mon parapluie. Je remonte mon écharpe moelleuse pour me protéger davantage de cette pluie pénétrante arrivant par vague à chaque coup de vent désordonné et je marche à travers le labyrinthe habituel des petites rues, tête baissée.
J'aime ces moments aller et retour de la maison au travail, à pieds ; le matin, je me concentre déjà sur l'ordre du jour de ma journée et le soir cette promenade me permet d'en faire le bilan et d'arriver sereine, toute attentive aux histoires que les enfants partageront avec moi.
En général, Damien fait un bout de chemin avec moi mais ce soir il est trop tard. Il est parti depuis longtemps. Je suis seule. Surtout ne pas me focaliser sur la nuit noire et moi seule déambulant dans les rues sombres sous peine de sentir mon cœur s'emballer... J'accélère cependant le pas.
Quand je relève le nez, j'ai juste le temps d'apercevoir une ombre géante s'abattre sur moi. Que se passe-t-il? Je suis violemment projetée à terre. "Aïe"... Ma tête heurte quelque chose de dur et froid, puis une douleur poignante envahit mon corps à plusieurs reprises. Aucun son n'est sorti de ma bouche. Bientôt je ne sens plus rien, toutes sensations aussi fortes soient elles, ont disparu, je n'ai plus peur, je n'ai plus froid, je n'ai plus mal... Je suis passée de l'autre côté.
Un inconnu, capuche sur la tête, grand, même pas costaud, fouille mon sac à main, le vide sur le trottoir à la recherche de quelques billets sans doute.
"Eh, mais il est à moi ce sac!"
Il récupère vite son butin et s'enfonce à grandes enjambées dans la nuit.
Je reste là et j'observe tétanisée le corps gisant à mes pieds... C'est curieux comme cette silhouette fait remonter en moi quelque chose de connu. Visage contre le sol, une marre de sang commence à déborder de dessous le corps inerte.
"Au secours! appeler le SAMU, la police! A l'aide!"
Pas un bruit alentours, pas une lumière extérieure des maisons qui bordent la rue ne s'allume, rien que le silence.
Je m'agenouille, je glisse mes doigts tremblants au niveau du cou de la victime, il n'est peut-être pas trop tard. Aucun signe de vie, le cœur s'est arrêté de battre, je pleure.
Une boucle d'oreille s'échappe d'une mèche de cheveu et scintille à la lumière du réverbère proche. Ses deux petites étoiles pendantes à deux fins fils d'or attirent mon attention... Je recule précipitamment. Je les reconnais, ce sont les miennes... Je pleure. Je réalise que la victime, c'est moi. Je suis de l'autre côté.
La pluie s'est accentuée. Je me relève et je hurle à en déchirer mes cordes vocales.
J'avais 45 ans et ma vie s'est arrêtée aussi soudainement que violemment. Au mauvais endroit, au mauvais moment.

Doudou, ce héros

Vingt-deuxième. Elle a mémorisé le parcours d'obstacles pour son deuxième passage. Concentrée, attentive, déjà à cheval, elle attend son tour... Vingt-deuxième.

Je l'observe de loin. Elle sait que je suis présente, que je la soutiens et que je l'aime. Premier championnat. Belle étape dans son parcours de cavalière. Qui l'eût cru! Je serre un peu plus mon sac à main contre ma hanche et essaie de ressentir au bout de mes doigts la forme informe de son porte bonheur. Pendant que mes lèvres récitent une prière, complice et secrète, mes pensées s'envolent un instant vers le commencement de cette grande histoire...

Je la revois dans son berceau envahi de peluches en tout genre, dont celle qui deviendra le doudou sans lequel rien est possible. Le Doudou mouton. Il n'est plus ni doudou, ni mouton, mais il est toujours là, effiloché, troué, tâché, un peu puant à mon avis, qu'importe, il est toujours là.

Il a perdu son premier oeil un jour de colère, lancé violemment contre un mur... Le deuxième quant à lui a sans aucun doute cédé au énième essorage trop rapide. Ses oreilles ont été sucées, mordillées, tournicotées entre les petits doigts stressés. Il a reçu les premiers vomis, les premières cuillères de purée de carottes ou d'épinards puis les premières tâches d'encre...

Encore un passage et ce sera son tour. Elle prend un bonne inspiration, expire et son regard se pose au niveau de ma hanche, perçant jusqu'à l'intérieur de mon sac à main... Un léger sourire se pose sur ses lèvres qui s'animent au rythme de la même prière récitée quelques minutes plus tôt.

L'annonce de son passage résonne dans les haut-parleurs, un clin d’œil dans ma direction, c'est parti... 25 secondes, parcours sans faute. Doudou mouton a encore gagné!

#à Tifaine - 07/X/17

La petite fourmi

C'est l'histoire d'une petite fourmi. Et cette petite fourmi, c'est moi ; des antennes sur la tête pour percevoir le plus possible de messages, deux bras et quatre jambes ou deux jambes et quatre bras selon les besoins. Malgré tous ces attributs, il semble que je sois invisible aux yeux du monde.

Tôt le matin, je me lève et profite du calme de la maisonnée pour prendre mon petit déjeuner aux sons de la nature en éveil et déjà je m'affaire telle une brave ouvrière à préparer les bols, les tartines, vérifier les sacs d'école, glisser le ticket de cantine ad hoc, un paquet de kleenex, un petit sou pour le misterfreeze du goûter, choisir les vêtements, qui sans doute, retourneront au placard et seront remplacés par d'autres.

Ensuite, je réveille ma progéniture, doucement, tendrement, avec le sourire, accueillant alors un grommellement presque inaudible ou tout au contraire tempétueux...

Ma journée de petite fourmi est bien entamée, sans encore de bonjour énoncé et déjà presque un au revoir qui ne recevra pas forcément de réponse quand je quitterai l'école, après avoir fait un court trajet en voiture avec les décibels de la radio qui me percent les tympans.

Sur le trajet de retour, silence dans la voiture... Seuls les klaxons des autres automobilistes m'accompagnent tout au long des deux kilomètres et demi pour rentrer à la maison. Incroyable, l'invisibilité de mon être de petite fourmi gagne du terrain et camoufle également mon carrosse, je me fais doubler soudainement par un ou plusieurs olibrius pressés...

Les heures défilent, comme une petite fourmi efficace que je suis, deux bras et quatre jambes ou deux jambes et quatre bras selon les circonstances servent bien, je range, je nettoie, je répare, je prépare le repas... Je reprends la route pour retrouver mes petits qui je le sais par expérience, après les civilités des retrouvailles résumées dans un bref échange "tu as passé une bonne journée?" "Ca va", ne s'apercevront en rien de tout le travail effectué pendant leur absence et pourtant... La tâche de chocolat sur le t-shirt préféré est effacée, les yaourts favoris sont dans le frigo prêts à régaler les papilles exigeantes, le bouton perdu du chemisier qui doit être mis à tout prix avec cette jupe là, lavée et repassée bien sûr, a été remplacé, le repas fait maison avec des produits de choix sera sur la table pour le dîner... Table dressée, pieds sous la table, pas un merci, pas un "c'est bon ce que tu as préparé". Jusqu'au jour où... La petite fourmi en a eu marre. Elle a tout arrêté. Plus de lessive, plus de préparation, plus de douces attentions... Plus rien.

Les deux bras et quatre jambes ou deux jambes et quatre bras se sont reposés... Et comme par magie, il n'a suffit que de quelques instants pour que la petite fourmi de cette histoire soit visible, remerciée, interrogée sur ses occupations, ses préoccupations.

Elle n'est désormais plus invisible et ses deux bras et quatre jambes ou deux jambes et quatre bras ont trouvé du renfort.

# à Marie et Tifaine - 17/VI/17

Première fois

Il est deux heures du matin, une envie pressante me réveille. Je m'extirpe avec grande peine de mon lit, un pied à terre et le sol se couvre immédiatement d'un liquide chaud et visqueux... Le moment tant attendu est venu... Mille pensées encombrent mon esprit. Ma mère se lève à son tour, sortie d'un sommeil trop court par mes appels. Nos regards se croisent, emprunts de sentiments mêlés, entre empressement, excitation, joie et inquiétude. Tout va bien.

Une attente de plusieurs heures s'annonce dans une chambre où seul un lit en crée le décor. Et le travail commence, la valse du personnel s'amorce, agitation normale autour de moi où chacun a son rôle. Ma mère se tient là, tout près... Délivrance... aujourd'hui je comprends pleinement le sens de ce mot. Des larmes roulent sur mes joues, comme sur celles de ma mère lorsqu'une petite chose toute humide, aux cordes vocales puissantes est posée sur ma poitrine.

Je le sais, je me suis endormie près d'elle. Je peux encore sentir la chaleur de sa présence et entendre le doux va et vient de sa respiration. Je choisis cependant de garder les yeux fermés, une façon de prolonger mon réveil à ses côtés et d'en faire un instant magique, précieux. L'imaginer simplement.

Bientôt elle ouvre ses yeux, de grands yeux, plein de vie, à l'affût... Son regard, le même qui m'a transpercé il y a quelques heures seulement, tout emprunt d'une nuit comptant un nombre insuffisant d'heures de sommeil, se pose sur moi. Sans pour autant me voir, elle me sourit d'un large sourire ; ce large sourire qui monte jusqu'aux oreilles et qui transforme totalement le visage de toute personne capable d'adopter une telle expression. Illuminée, voilà, il me semble que son visage s'éclaire d'une lumière étincelante qui lui apporte une grâce presque divine. Je caresse délicatement du revers de mon index sa joue, à la pommette saillante et ressens le velouté de sa peau toute neuve. J'attrape la petite, la minuscule main de ce petit bout de femme de quelques heures, qui me communique toute sa force, toute sa volonté et qui je le sais, à jamais va transformer ma vie.

Quelques jours pour se reposer, pour adopter les bons gestes mais surtout pour se faire confiance, s'apprivoiser, tout va bien. Bientôt le retour à la maison, prendre ses marques, profiter de chaque instant, prendre pleinement conscience de ce bouleversement. Bientôt la reprise de l'activité professionnelle, apprendre à tout concilier et profiter de chaque instant. Tout va bien.

Seize ans se sont écoulés depuis cette inoubliable journée du 29 novembre et je n'ai jamais été autant à ma place de femme que ce jour là.

#à Marie - 8/X/16

Le choix

Je détesterai l'idée que le chemin se termine et qu'à un moment tout s'arrête. Le mot fin ne me plaît. Pourquoi une fin? Pour un nouveau commencement? Et pourquoi ne pas faire en sorte que tout continue? Pourquoi chercher à clore alors qu'il y a tant à faire, à espérer, à créer, à développer.

Un pas après l'autre, chaque pas compte. A chaque pas, un bilan, un ajustement. Le chemin se dessine, se complète au fur et à mesure de ce défilement et je grandis, toujours plus ; je m'élève.

Je reste dans un questionnement permanent, impermanence évidente de la vie qui me permet ainsi de rester éveillée aux autres possibilités. J'ai le choix. Choisir c'est ma liberté. Je choisis la liberté. J'abandonne la réponse, je lâche prise. La réponse m'enferme.

J'inspire, j'expire, ma cage thoracique se soulève, s'abaisse, je suis en vie, je souris à la vie.

Il fait beau dehors autant en profiter.

Comment cela devient encore mieux que ça?

# à Jennifer - 30/I/16

Absence

Quelqu'un quelque part, puis finalement personne. Il est déjà trop tard, les cloches carillonnent.

Quelqu'un était là, et l'instant d'après, attendant le prochain pas, disparu comme un fait exprès.

Quelqu'un est arrivé, courant aussi vite que possible, regardant l'entrée, affrontant le terrible.

Quelqu'un s'est assis, un instant recroquevillé sur lui-même, encore tout interdit, de n'avoir pu lui dire je t'aime.

Quelqu'un est reparti, regardant droit devant. L'amour jamais ne finit, qu'y a-t-il maintenant?

Quelqu'un depuis a grandi, au diable ce moment noir. C'est la vie qui sourit, le regain d'espoir.

Quelqu'un est revenu, à cet endroit précis, libérant ce qui était retenu, et dire je t'aime comme un cri.

14/I/17

La photo parfaite

Une fin d'après-midi, le soleil entame sa descente derrière les grands arbres là-bas au fond du paysage. La lumière dorée adoucit, rend beau. La température est agréable, pas la chaleur du plein après-midi ni la fraîcheur tombante du début de soirée, la juste température. Une famille réunie, des parents, des enfants, des petits et des grands. Tout le monde cherche sa place sur le banc blanc, par terre ou adossé au muret les séparant de la pâture où quelques vaches impassibles continuent de brouter l'herbe verte sans se soucier de l'organisation requise pour faire la photo de famille de l'année.

«Attention... Souriez ! », pause de circonstance, une grimace intentionnelle ou pas, un œil se ferme malencontreusement ou pas, au moment précis de la prise... Alors on recommence, une fois, deux fois... Au bout de quelques essais à la recherche de la photographie parfaite, les petits s'agitent, s'agacent, s'énervent, gesticulent, les grands tentent en vain de garder un air décontracté et souriant, comme pour se protéger des prémisses du grand charivari qui va suivre.

Et ainsi chaque année. Le temps s'impose. Les petits grandissent, les grands prennent des rides supplémentaires, quelques cheveux blancs... Le temps qui passe agrandit la famille ou la réduit. C'est le cycle de la vie.

Sur la dernière photographie parfaite, sont rassemblés le père, la mère, leurs trois enfants, leurs six petits-enfants. Plus de filles que de gars. Une belle-fille pas de gendre. La génération précédente n'y figure plus, depuis longtemps maintenant, il est trop tôt pour la suivante.

Cette prise de vue n'exprime cependant pas les drames, les joies, les réussites, les petits bobos, les discussions, les disputes, les réconciliations, les projets professionnels, les ambitions personnelles qui ont donné toute la saveur à cette année écoulée, saveur sucrée salée selon les épisodes, les tranches de vies traversés. Elle ne raconte pas les rires, les cris, le chahut des retrouvailles, les chamailleries aussi, la complicité, les goûters, les baignades mouvementées. Elle ne révèle pas les apéritifs, chaque soir, pendant lesquels on refait le monde et qui s'éternisent toujours un peu plus longtemps que prévu, comme pour ne jamais mettre fin à la bonne journée qui vient de s'écouler. Elle ne montre pas non plus les parties de scrabble qui font grogner, bougonner en raison d'un tirage trop... ou pas assez... jamais comme on l'espère c'est certain...

Cette photographie parfaite témoigne de la réunion de cette famille, et plus exactement de la fin toute proche de ces moments de partage. D'ici quelques heures, une journée ou deux tout au plus, pour les uns, les autres, les vacances s'achèveront et chacun reprendra la route vers son ordinaire, ses habitudes, ses repères, son rythme, ses contraintes... sa vie.

Il restera cette photographie parfaite, immuable, éternelle, qui de génération en génération restera intacte, aussi parfaite qu'à cet instant précis, aussi parfaite que pour ceux qui la regardent aujourd'hui.

#à Papa et Maman, à Tifaine et Marie, Géraldine et les 3 L, Pierre-Loïc, Nounie et Charlie,

12/V/16

Souvenir d'Enfance

La photo est prise dans la cuisine. Je suis avec mon père, plus exactement perchée dans ses bras. J'ai mes mains autour de son cou et mes jambes autour de sa taille. Je regarde l'objectif et il me regarde. Je porte une jupe grise chinée ample qui glisse en arrière et me découvre la jambe droite. Un gros chausson gris fourré de laine jonche le sol, tombé de mon pied, nu. Mes cheveux mi-longs sont tenus en arrière par un bandeau assorti à mon pull. Ils sont permanentés. Mes yeux sont maquillés, soulignés d'un trait de crayon vert s'alliant avec la nuance de mon pull et de mon bandeau.

Mon père est classiquement vêtu de son pantalon de velours côtelé moutarde, d'un pull-over bleu marine sous lequel se devine une chemise à carreaux aux lignes fines rappelant la couleur de son pantalon sur fond blanc.

Il soutient mon poids par ses mains sous mes fesses, plissant ma jupe, le dos légèrement balancé en arrière.

La lumière du jour est vive.

A l'arrière plan, la grande cheminée au cadre de bois couleur chêne clair, s'impose, avec posés contre le crépi crème de son chapeau des pots de verre au large bouchon de liège : un pot pour les pastilles Vichy, un autre dans lequel se trouvent les fèves collectées aux multiples couleurs et formes. Au centre, le panier de fruits décoratif en pâte à sel dont le vernis s'écaille.

Le chat au pelage ras, blanc rayé de marron roux apparaît à moitié tête à moitié queue, caché par nos deux corps, on ne peut que l'imaginer entier. Il n'est pas concerné par cette prise, il pose de profil, son unique œil se porte ailleurs.

#à Papa

12/XII/15

Le stylo plume

Mon père m'avait dit "Quand tu ramèneras des cahiers bien tenus, propres, perlés comme il disait, je t'achèterai un beau stylo". Ce jour arriva vite... J'étais en CE1 depuis quelques semaines déjà. Dans la liste des fournitures scolaires, la maîtresse avait autorisé le stylo plume... Rien que de lire le mot, stylo plume, je me voyais parcourir lignes après lignes, avec légèreté et aisance, le bout de la plume glissant au rythme de mes pensées sur le papier de mon cahier, et pas n'importe quel cahier, mon journal intime... Oh je vous parlerai de lui plus tard, revenons à mon stylo plume... que je n'ai pas encore à ce stade de l'histoire.

Donc. J'avais fait ma rentrée classiquement sans stylo plume, ma mère considérant que je n'étais encore qu'une apprentie en matière d'écriture et que l'art du maniement d'un tel outil ne faisait pas partie de mes compétences. Toutes mes copines avaient pourtant un stylo plume, souvent fantaisie, avec des princesses ou des nounours, avec des paillettes.

La maîtresse avait oublié de préciser qu'elle n'autorisait que l'encre bleue effaçable et en ce début d'année, les cahiers s'étaient très vite colorés de bleu turquoise, de violet, de noir... C'était beau mais défendu. Comme elles en avaient toutes bien sûr, j'ai pu très vite tester mon aptitude à écrire avec un tel trésor et j'avoue même une fois avoir innocemment rangé celui de ma voisine de table dans ma trousse pensant qu'elle ne s'en apercevrait que trop tard...

Et ce samedi soir arriva, samedi 3 décembre de l'année 1979. Maman nous avait appelé au moins trois fois comme à l'habitude pour que l'on descende se mettre à table pour le dîner, mes frères et soeurs et moi, et là... Arrêt sur image. A ma place, dans mon assiette, un paquet doré, longiligne, pas très épais... Mon sang ne fit qu'un tour... Papa, papa avait regardé mes cahiers hier, en rentrant de son travail. Je suis allée jusqu'à ma chaise comme si de rien n'était avec néanmoins un sourire indéfectible sur mes lèvres, un sourire de celui qui remonte tout sur le visage... Maman a proposé de commencer le repas et papa a dit "ouvre, qu'attends tu?" Là délicatement, j'ai dénoué le fin ruban, soulevé chaque petit bout de scotch qui maintenait mon trésor enfermé... Une fois le papier défait, j'avais devant moi une boîte en cuir rouge bordeaux avec un fin liseré couleur or qui en soulignait le tour avec élégance. Je n'osais l'ouvrir... Comme je tardai, toute à mon excitation interne, mon père qui commençait sans doute à avoir faim, me pressa un peu brusquement... Je crus à cet instant que la magie était tombée mais qu'elle ne fut pas ma surprise quand enfin j'ouvris la boîte pour en découvrir l'intérieur, de sentir mes yeux s'embuer et des larmes humidifier mes joues et tomber bruyamment dans mon assiette.

Là devant mes yeux bien ouverts, un stylo plume majestueux noir et argent sans nounours, sans princesse ni paillette mais quelle classe, trônait gracieusement dans son étui. Je le dévorai des yeux sans oser le toucher, je profitais de son éclat, de son étincellance... Il aurait pu être en or véritable que je ne l'aurai pas plus aimé, adoré, vénéré...

Nous avons passé ensemble de nombreuses années de complicité, de confidences, jusqu'aux taches sur les doigts puis sur les cahiers et là... Je n'ai pas eu le choix... Il est toujours parmi les stylos "basiques" de ma trousse, je ne l'ai jamais remplacé, je le regarde avec tendresse très souvent le laissant confortablement profiter de sa retraite méritée après de nombreuses années de labeur.

03/XII/16

Quatre-vingt-dix-neuf nuits

Après de longs mois d'observation, dans le silence de ma timidité, j'avais enfin réussi à l'aborder, à lui adresser la parole. J'étais parvenu à lui faire part de mes sentiments profonds, à lui avouer tout l'amour que j'éprouvais pour elle : Son regard, son sourire me faisaient tout simplement fondre. Chacun de ses gestes, de ses mouvements me semblaient être une véritable parade amoureuse, à chacun de ses pas, ses cheveux couleur miel flottaient dans les airs, telles les ailes fragiles des papillons. Le noir de ses yeux et le rouge sang de ses lèvres contrastaient avec la couleur diaphane de son teint. Elle n'était pas très grande, plutôt menue, le port altier, d'une élégance certaine.

Quand ce soir là elle m'invita à m'exprimer, une très simple mais sincère déclaration sortit de ma bouche « Je vous aime depuis si longtemps ». A ces mots, elle me répondit : « Je serai à vous lorsque vous aurez passé cent nuits à m'attendre, assis sur un tabouret, sous ma fenêtre, dans mon jardin.»

A quoi je m'attendais ! Qu'elle me saute au cou, me couvrant de baisers doux, chauds et humides, me confiant qu'elle aussi éprouvait les mêmes sentiments depuis de longs mois sans oser bien-sûr briser le conformisme idiot mais bien réel obligeant l'homme à faire le premier pas ? Oui. Je dois bien l'avouer. Toutes les fois où je me suis imaginé vivre cet instant, c'était extrêmement différent. Nous repartions bras dessus bras dessous, nos bouches irrésistiblement attirées, les yeux dans les yeux, les cœurs battant à l'unisson, les papillons dans le ventre, bref, la totale !

Là, à cet instant, je restais bouche bée. Impossible de décrocher mon regard de sa frêle silhouette s'éloignant le long du chemin des cerisiers en fleurs. Après qu'elle ait prononcé sa sentence, elle m'a tout simplement tourné le dos nous donnant rendez-vous implicitement au lendemain soir sous sa fenêtre dans son jardin, moi et mon tabouret.

Je rentrais chez moi, encore tout abasourdi par ce que je venais de vivre, si loin de tout ce que j'avais rêvé, fantasmé.

Cent nuits. Cent longues nuits. Cent très longues nuits. Cent très longues nuits à l'attendre sous sa fenêtre, assis sur mon tabouret, dans son jardin. Cent nuits interminables à attendre ma rêvée, ma dulcinée, la très future proche femme de ma vie.

Demain serait le premier jour de la première nuit de ces cents très longues nuits d'attente. J'allais me coucher, perdu dans des folles pensées de l'après longue patience, espérance, croyance d'un futur heureux d'une vie à deux.

Le lendemain soir, mon tabouret sous le bras, je pris le chemin des cerisiers en fleurs. Le soleil venait de se coucher derrière la montagne, colorant le flanc droit d'un scintillant orange d'or. L'air de cette fin de soirée était frais. Un doux parfum émanant des arbres venait jusqu'à mes narines, titillant mes sens, me mettant comme l'eau à la bouche. Ces cerisiers étaient une pure merveille. La légère teinte rosée des fleurs s'apparentait à la peau délicate de ma belle et me ramenait inlassablement à elle.

J'arrivais au lieu de rendez-vous, son jardin. Je poussais un petit portillon en bois tout fraîchement repeint d'une couleur rouge lie de vin. Je traversais une allée de minuscules cailloux blancs bordée de bonsaïs puis je longeais un petit bassin japonais dans lequel une fleur de lotus entamait tranquillement la fermeture de ses pétales raffinés pour la nuit. D'une fenêtre, d'une seule s'échappait un halo de lumière éclairant le sol herbeux qui à la lumière du jour devait être d'un vert vif. J'y étais. J'installais mon tabouret et m'asseyais. Je restais éveillé toute la nuit durant, les yeux fixés vers la fenêtre éclairée, sans presque même ciller, les pieds nus au contact de l'herbe tendre et légèrement humide, les oreilles en alerte des bruits de la nuit, du bruissement léger des feuilles des arbustes, du craquement des brindilles sous les déplacements de quelques habitants invisibles du jardin. Au petit matin, je quittais la fenêtre faiblement éclairée, mon tabouret sous le bras, je longeais le petit bassin japonais dans lequel la fleur de lotus s'épanouissait petit à petit au fur et à mesure de la lueur du jour, je traversais l'allée des minuscules cailloux blancs bordée de bonsaïs et poussais le petit portillon en bois tout fraîchement repeint d'une couleur rouge lie de vin. Je repris le chemin des cerisiers en fleurs pour rentrer chez moi. Le soleil perçait tout juste au-dessus de ma tête illuminant légèrement les abords du chemin. Les oiseaux célébraient le jour nouveau par leurs pépiements joyeux. Les premiers rayons séchaient la rosée et exaltaient l'odeur de la nature environnante, titillant mes sens, me mettant comme l'eau à la bouche. Une fois arrivé, j'allais me coucher. La première nuit venait de s'achever.

Nous étions au printemps. Ce fut le printemps le plus triste de toute mon existence. Au fil des jours, au fil des nuits, je ne prêtais plus attention ni aux fleurs, ni aux arbustes ni aux oiseaux ni à tout autre chose... Je ne vis plus rien. Chaque soir, mon tabouret sous le bras, je longeais le chemin des cerisiers en fleurs, j'arrivais au petit portillon rouge, je traversais l'allée des bonsaïs, passais devant le lotus et sous la fenêtre éclairée, je m'installais attendant le petit jour les yeux rivés vers la fenêtre.

Je ne me rendis compte que le temps filait, filait vite, que lorsque les premières cerises rougirent. Une saison s'était écoulée.

Je ne l'avais pas revu, ma rêvée... Chaque nuit pourtant, depuis plus de quatre-vingts nuits, j'étais près d'elle, si près...

Au quatre-vingt-dix neuvième jour, je longeais le chemin arboré, poussais le portillon, passais les bonsaïs et le lotus et là, stupéfaction, de la fenêtre ne paraissait plus aucune lumière. Je ne pris même pas la peine d'installer mon tabouret, je fis demi tour, le lotus n'avait pas encore fermé complètement ses pétales. Je me rendis alors compte qu'il n'y avait plus de cerises dans les arbres.

21/V/16

Le grand saut

Le 4x4 arrive. Nous chargeons le matériel, tout le matériel. Check-list OK. Nous montons à notre tour. Pendant tout le trajet, les consignes sont répétées, les réponses aux questions apportées, les derniers encouragements donnés. Des sourires crispés ou plus chaleureux s'échangent. Des regards en coin se télescopent... La route est chaotique, nous obligeant à accepter de se cogner les uns aux autres, nous obligeant à nous cramponner sinon. Difficile de vraiment se concentrer sur l'étape suivante, les doutes envahissent. Vais-je réussir à sauter?

Le bruit du moteur est assourdissant, engourdissant les sens. Le paysage doit être une vraie merveille mais l'oeil ne se fixe sur rien, l'oreille devient sourde, les articulations des mains blanchissent, tellement tendues à force de se cramponner. La conduite, sèche, est conforme à ce type de montée.

Tu souhaites vite atteindre le sommet, pensant tout à coup que l'instant d'après sera meilleur. Ca y est, nous arrivons! Check-list OK. Tout est prêt. L'oreille capte les "clics", les "clacs", les "scrtch" de l'harnachement. Il faut être bien certain que tout est sécurisé. Les autres sont déjà loin, là-haut dans les airs... Alors tu courres, tu dévales la pente raide jusqu'à ce que tes jambes te fassent mal, tes muscles tétanisés ne suivent plus le mouvement, ton cœur bat à la chamade, la terre se dérobe sous tes pieds, la voile se gonfle et t'attire en arrière alors que tu veux continuer d'avancer... sans doute un cri s'échappe de ta bouche, le "Ahhhhh" de cet instant précis où tu voles, tu es libre. Tu es l'oiseau qui suit les courants aériens, majestueux, gracieux, qui monte et qui descend, aspiré ou recraché par le courant.

La magie de l'instant... Un point coloré dans le ciel surplombant la vallée, un point coloré dans le ciel et c'est tout.

#à Manu

16/I/16