Page blanche

Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis notre dernier échange et je me sentais comme coincée, en mal d'inspiration, en mal d'évasion, en mal de tout à vrai dire. Il fallait que je m'aère ; le contact avec la nature avait toujours été ressourçant, régénérant voire inspirant pour moi et je sentais bien au fond de mon cœur, à l'intérieur de toutes mes cellules, un appel, l'appel de la Corrèze. Cinq heures de route plus tard, je descendais les marches recouvertes d'herbes sauvages, la nature ayant repris ses droits, poussais le portail grinçant et avant de mettre la clé dans la serrure de la porte d'entrée, je profitais du paysage alentour avec émotion.

Les trois quatre jours suivants, je parcourus au petit matin ou en fin de journée le sentier à la sortie du village, espérant apercevoir une biche à l'orée des bois, les yeux bien ouverts, cherchant à capter dans l'œil de mon objectif, une feuille perlée par la rosée, une branche d'une forme improbable, l'envolée d'un oiseau… Je me nourrissais ainsi d'images, de sons et d'odeurs qui me raccrochaient à des bribes de souvenirs qui seraient couchés sur le papier, comme une sorte de transmission, de mémoire pour ceux qui restent …

J'ouvris mon cahier, assise sur le banc devant la maison, relus les dernières lignes avant de poursuivre…

« Les spectateurs de la scène avaient les yeux ronds et pour certains le sourire aux lèvres. Depuis plusieurs minutes, dans une folle exubérance, la divagation de mon esprit m'avait déconnectée de la réalité. Sortie de ma transe, les yeux hagards, suante et haletante, il fallait que je mange. Sur la place de l'église, la cloche émit 4 coups sonores, c'était l'heure du goûter. Maintenant que j'étais assise là avec mon croissant au chocolat encore tout chaud, cela me paraissait tellement saugrenu d'être venue sur cette place démontrer et clamer ma différence. Une chose est certaine. Dans ce trou paumé de France, ce n'est pas tous les jours qu'un tel spectacle se produit. Finalement je participe à l'éveil de mes concitoyens. Cet instant était tellement puissant, tellement libérateur que je me suis mise à pleurer exorcisant par les larmes toutes les émotions contenues, retenues, enfouies depuis tant d'années. Ma vue était brouillée par tant de larmes libérées. Je me relevais péniblement et prenais la direction de la maison de mon enfance quand j'ai croisé pour la première fois depuis mon arrivée les jumeaux. Rien ne les distinguait si ce n'est quand on les questionnait, l'un était un grand chapelier, l'autre un simple mais non moins connu, cafetier. »

Je me souvenais de cette rencontre et de notre échange, devant la vitrine de la boulangerie. Ils n'avaient pas changé, toujours aussi beaux, toujours aussi « jumeaux » ; plus jeunes, nous avions flirté ; ils avaient joué de leur ressemblance comme deux gouttes d'eau. Le sourire aux lèvres, je repris le fil de mon récit…

« J'avais accepté l'invitation un peu rapidement. Trop tard pour faire machine arrière, j'allais devoir me fondre dans cette jungle humaine, moi qui depuis plusieurs semaines me complaisait à être ermite. Je plongeais donc dans ce bain de foule sans avoir les codes, leur langage n'était plus le mien depuis belle lurette ; c'est comme si je devais apprendre le morse et décrypter les points et les tirets comme par enchantement. Cette chanson me plongeait plusieurs semaines en arrière… avant tout ce chamboulement. Mon esprit m'emportait ailleurs, vers l'innocence… C'était décidé. En rentrant, je sortirai la boîte à chaussures du coffre. Mon trésor, chasse gardée. Une à une chacune des lettres sera brûlée. Envolées les belles promesses, les grandes déclarations. Je n'ai pas réussi à les faire disparaître simplement. Chaque mot, chaque virgule, chaque point, des « je t'aime » à « c'est terminé », cette plongée presque en apnée m'a mis la tête à l'envers. Encore. Je resterai ici, au milieu des vaches, des lacs et des forêts de châtaigniers, le temps qu'il faudra. Hors de question que mes filles soient les témoins impuissants de ma déperdition. »

La maison familiale a toujours été mon refuge : casser le rythme effréné de la vie active, jouir du grand air avec mes filles, se promener avec mon père sur les chemins de traverse en écoutant ses paroles de grand sage, recevoir toute l'attention et la chaleur de ma mère, redevenir leur petite fille le temps d'un été, le temps d'une échappée… Ils n'habitent plus ici, ils ont déménagé il y a quelques années et malgré tout, je sens leur présence dès que j'en franchis la porte. J'y reviens toujours et notamment lorsque je n'ai qu'une envie, c'est de sortir un drapeau blanc, signe de trêve. Aujourd'hui, je suis là pour terminer l'histoire, mon histoire, notre histoire, couchée sur le papier. Hier, j'y venais pour fuir ou rebondir, pour me reconstruire… Je n'ai pas eu des amours faciles, jamais. Célibataire depuis de nombreuses années, je n'ai jamais été aussi heureuse… Il m'avait fallu du temps et beaucoup de résilience…

J'en avais plein le cœur de ces histoires qui finissent mal. Il était temps que cela change. Outre la décision purement mentale qu'il fallait que cela cesse, il était indispensable que je puisse imprimer d'autres images dans ma tête. Des images de lumière et de paix. Forte de ce contact avec la nature environnante qui m'aidait à me régénérer, je sentais que tous ces vieux schémas, ces formatages allaient disparaître une fois pour toute pour laisser la nouvelle moi s'exprimer. Je sortis devant la maison et m'assis sur le banc adossé au mur délimitant le pré des vaches. Je pris une cigarette. Et alors qu'une rafale de vent chaud dirigeait la fumée vers mon visage, mes yeux se mirent à brûler puis pleurer à chaudes larmes. Les larmes coulaient au-delà de la réaction purement physique. Je fermai les yeux et fus projetée des années en arrière quand petite, ma mère devinant mon mal-être s'approchait de moi et de sa douce voix me questionnait "qu'est ce qui te met dans cet état mon lapin?" Ma mère s'est toujours rendue disponible. Elle avait ce truc, à nulle autre pareille, pour éviter que je ne me referme comme une huître et me rende inaccessible au bonheur.

Les mauvaises herbes avaient envahi les parterres de fleurs. Même les pâquerettes dans la pelouse du parc ne paraissaient plus, perdues sous l'herbe haute. J'allais y remédier. Une fois le nettoyage du jardin achevé, je repensais à nos réunions de famille chaque été. J'entendais les enfants se chamailler autour d'une partie de croquet, de molky ou de ping-pong…

Je prenais le petit chemin longeant le cimetière pour m'enfoncer au plus profond des bois. Le soleil jouait à cache-cache avec les nuages, laissant percer ses larges rayons. Mon nez captaient une multitude d'odeurs dont une éveilla particulièrement mon attention. Je ne devais pas être seule sur le chemin, quelque part non loin, quelqu'un fumait un cigare. Je n'avais pas besoin d'une carte pour m'orienter dans ces bois. Je les connaissais par cœur. Pourtant affolée par cette présence inopportune, j'avais beau regarder autour de moi, rien ne m'était familier.

Ma fleur préférée c'est la rose même si une fois sur deux, je me pique le bout des doigts sur les épines acérées. Le rosier, vieux « de cent ans » qui borde la porte d'entrée est en mauvais état ; J'entrepris de monter sur l'escabeau pour remettre de l'ordre au fouillis de ses branchages, j'espérai que le parfum de ses roses rouges d'un aspect velours, presque entêtant pénètre à l'intérieur comme avant, lorsque l'été, la porte restait grande ouverte. Je ne suis pas très à l'aise dès que mes pieds quittent le sol… Ce qui devait arriver, arriva… Je perdis l'équilibre et me retrouvai les quatre fers en l'air… Un peu sonnée mais sans grand mal, je me concentrai à nouveau sur mon ouvrage. Après tant de péripéties, je me suis installée dans la balancelle, cahier sur les genoux, plume à la main, Minouche à mes côtés. Ce fripon tend sa petite patte pour jouer avec la pointe de mon stylo et dessine de grandes arabesques. Ce coquin me fait rire. D'une minuscule boule de poils pouilleuse et mal léchée, Minouche est devenu un chat majestueux ; un véritable pot de colle qui me suit partout, sans doute me prend-t-il encore pour sa mère, après l'avoir nourri au biberon pendant des semaines.

Cela faisait plusieurs semaines que j'avais fui… j'avais fui ma vie… tout de ma vie. Aujourd'hui, je me sentais à nouveau forte et libérée de mes chaînes. J'étais re-devenue la reine de ma vie.

Bas de page, j'écris le mot FIN. Je referme mon cahier Oxford, avec une douce mélancolie laissant derrière moi mon désespoir, les jumeaux, le chat, l'intrus au cigare… Je ferme les yeux et respire.

#à papa et maman (challenge d'écriture créative II/24

Une fin d'année pas comme les autres

Mon téléphone émit un bip m'avertissant de l'arrivée d'un message. Sans doute ma cadette qui négocie un retour à la maison plus tardif que convenu. Comme d'habitude. Je soupire… Gagné ! « cc, bus retardé, prochain dans une heure, tkt, mange sans moi, ok ? slt à + ». Ah ces ados pour qui de simples mots comme « bonjour, merci, comment ça va, coucou, au revoir… » ont disparu du vocabulaire courant, laissant place à un tout nouveau lexique « slt, ok, tkt, cc »…

Ce soir, les congés de fin d'année débutent. J'essaie de rester concentrée sur ce qu'il me reste à boucler mais mon esprit s'échappe malgré moi. J'avoue que la venue de toute la famille pour les fêtes me stresse un peu… Je me sens comme fiévreuse. Toute la tribu réunie, ça commence à faire du monde. Les cousins cousines vont être bien excités de se retrouver, la maison va s'emplir d'un seul coup de rires et de joie mais aussi de cris et de chamailleries. Inutile d'insister, je ferme l'ordinateur et je prépare la « to do list » pour le lendemain. Il ne faut pas que j'oublie d'aller chercher les huîtres à la poissonnerie. Rien que d'y penser, j'en ai des haut-le-corps. Impossible, je ne pourrai jamais, jamais, jamais gober ces trucs gluants, puant la marée et qui plus est vivants… et pourtant depuis toujours, le passage à la nouvelle année, dans ma famille, se célèbre avec un gigantesque plateau d'huitres qui ouvre les festivités.

Nous sommes réunis, le temps file… Ce soir, les discussions sont allées bon train, chacun refaisant le monde selon ce qu'il est. Maman a quitté la table la première ; il n'est plus là, pour la première fois depuis cinquante-cinq ans. Perdue dans mes pensées, Intriguée par le bruit extérieur, j'ai ouvert la fenêtre pour découvrir le tumulte provoqué par une jeunesse révoltée, déambulant dans la rue et qui à corps et à cris exprime l'injustice, le chaos, la déperdition de ce monde dans lequel persistent difficilement les vestiges de valeurs profondes, liberté-égalité-fraternité. Je retourne dans la chaleur douce de la salle à manger, rêveuse, tout le monde est reparti, ne restent de leur passage que des miettes, des verres vides et le silence. Je me sers un dernier verre de vin et monte à l'étage pour vérifier que maman dort paisiblement. Elle n'y est pas, je l'appelle et redescends les escaliers vivement.

Je la vois, assise près de la cheminée, le reflet des flammes apportant une lueur nouvelle à ses yeux qui ne voient plus. Elle est immobile, certainement perdue dans ses pensées, et toujours aussi belle. Je m'approche doucement et lui susurre au creux de l'oreille « je t'aime ma p'tite maman » en l'entourant de mes bras avec toute ma tendresse. Elle pose sa tête contre mon épaule et me raconte : « Quand je ferme les yeux, tout doucement je retourne dans le village de mon enfance et y retrouve avec émotion, ses animations lors de la fête de l'école, de la fête foraine, sa place de la mairie où le car scolaire nous attendait chaque matin quand nous avions l'âge de partir pour le collège ou le lycée, son café dans lequel j'ai servi mes premiers clients et gagner mon premier argent, sa boulangerie, son épicerie, ses rues le plus reculées où j'ai embrassé un garçon pour la première fois… ce village et ses habitants que je connaissais tous ou presque, simples voisins ou amis. Un village perdu au milieu des champs de blé et de mes souvenirs d'enfant. » Je sais très bien que papa lui manque et que le premier et le seul garçon qu'elle a embrassé alors, c'était lui. Il est parti trop tôt et il est parti sans elle. Sans un mot, je l'invite à se lever et l'accompagne jusqu'à son lit. Il est tard. J'ai besoin de dormir.

J'ai deux plaisirs intenses, celui de me lever de bonne heure (bonheur), profiter du calme et de l'éveil de la nature environnante ; celui de me mettre au lit, un livre dans lequel me plonger, le chat calé à mes côtés. Malgré l'heure tardive, je m'installe, même si Morphée me berce très rapidement dans ses bras et m'emporte au pays des rêves.

Et tandis que sonne le glas, j'entends encore le doux fredonnement de ma mémé à mon oreille, cette mélancolique mélodie qui m'apaisait. La sonnerie de mon téléphone me réveille en sursaut, brutalement, je râle intérieurement de devoir quitter ma mémé. Sur l'écran s'affiche le jolis minois de ma grande… Elle part à la maternité. Je vais être grand-mère… C'est pour cela que la mienne est venue me rendre visite cette nuit. Je ne suis pas encore tout à fait réveillée quand je raccroche, je réalise quand même que d'ici quelques heures, un petit être va faire son entrée dans le monde, mon petit-fils…Longs ces neuf mois à attendre que tu sois là, quelle récompense quand tu as pointé ton bout de nez enfin ! Je descends à la cuisine pour me faire couler un café. Un flot d'images, de pensées me submergent… Je vais être grand-mère. Je superpose ce mot au souvenir de mon institutrice de cours moyen qui terrorisait sa classe, avec son chignon de cheveux gris et ses petits yeux noirs à qui rien n'échappait. Quand elle posait une question à la classe, je la défiais du regard en pensant : Regarde-la avec son air pincé, les lunettes au bout du nez, ses yeux nous fixant avec intensité… qui va-t-elle désigner pour répondre à sa question ? Personne n'a levé la main, tout le monde évite de croiser son regard. Je ne baissait jamais la tête, elle ne m'interrogeait jamais. Penser que mon petit bout de chou va rencontrer et affronter des énergumènes pareils voire pires me fait me ressentir comme une lionne prête à bondir sur tout ce qui pourrait l'affecter. Une lionne… mon esprit vagabonde encore, des larmes silencieuses coulent le long de mes joues. Ma lionne Peluche est partie rejoindre les étoiles, trop tôt, trop vite. Le silence semble alourdi par l'absence de ses miaulements aigus alors qu'elle me tournait dans les jambes en manquant de me faire tomber, sa façon à elle pour me signifier qu'elle voulait des croquettes fraîches. J'ai même failli annuler cette soirée, tant j'étais, je le suis encore, chamboulée par sa disparition si soudaine. Dernière gorgée de café, je me lève et Une douleur vive soudaine me fit me plier en deux, comme un coup de poignard reçu en plein ventre. Voile noir devant les yeux, je m'effondrai. Je ne sais pas combien de temps je suis restée sur le carrelage froid de la cuisine. J'ouvre les yeux avec peine, la douleur n'est plus. Je me relève, encore étourdie, m'assoie et respire profondément. Ce n'est vraiment pas le bon moment. Mille choses m'attendent. Déjà, je vais commencer par envoyer mes vœux et en profiter pour annoncer la naissance de Malo. Aux messages instantanés, même pas personnalisés, je préfère largement un « bonne année » encré sur un vulgaire bout de papier. Je vais chercher les cartes achetées la semaine dernière, attrape un stylo, mon carnet d'adresses et je me mets à l'œuvre.

J'aime la perspective de ce début d'année, comme un renouveau, une possibilité de s'améliorer… Le fameux temps des bonnes résolutions…Mais si chaque année je prends les mêmes bonnes résolutions, c'est que cela ne fonctionne pas ! En fait, une fois l'année, cela ne veut rien dire, juste à me donner bonne conscience… et ça s'envole. Les vraies résolutions, fermes et engagées, de moi à moi, c'est tous les jours que Dieu fait. C'est décidé cette année la seule que je prends est de ne pas en prendre justement. Ben oui chaque année, je me dis, cette année je ne me laisse pas déborder, je range au fur et à mesure. Oh la la mais pourquoi me parle-t-on de rangement nom d'un p'tit bonhomme ! Je revendique mon droit au bordel organisé ! Effectivement, cela n'a aucun sens. Finalement je m'y retrouve moi dans ce bordel organisé et c'est à l'image de ma vie, Pffff, ben moi qui croyais aux contes de fées, j'peux dire que je m'suis bien plantée ! Ce que je veux dire par là c'est que la vie n'est pas un long fleuve tranquille, je ne vis pas d'amour et d'eau fraîche et je ne connaitrai jamais une fin comme « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants ». Quoique. Je suis heureuse et j'ai quand même deux filles magnifiques… J'ai créé mon conte de fée à moi en fin de compte.

Je reviens à l'instant présent, prête à monter réveiller maman et réalise que je n'ai pas pris mon antibio.

Ce n'était pas prévu au programme mais j'ai dû aller précipitamment chez le médecin avant l'arrivée de tout le monde. Heureusement il n'y a pas eu de retard, la consultation a été rapide : Dites A et tirez moi la langue : « AAAAAAAA », « bon ben c'est une belle angine que voilà ». Prescription d'antibiotiques, c'est une angine bactérienne, manquait plus que cela ! Je suis sortie juste à l'heure pour aller chercher le plateau d'huîtres mis de côté, j'ai pris le temps d'une pause clope..

Fragile espoir

Les mains rougies par le froid

Dernière allumette

Impossible de retrouver mon briquet. J'ai dû le laisser dans la voiture garée près de la poissonnerie. Tant pis, je dois faire vite. Quai de gare, j'attends. Il est à la maison pour Noël. Je sens toute l'impatience dans chacune de mes cellules de bientôt le serrer dans mes bars. C'est maman qui va être contente. Il sera avec nous. Elle ne le sait pas encore. Deux ans de mission à l'étranger, ça commençait à être long. Mon frère sort du wagon, son paquetage sur l'épaule. Il me cherche du regard. Je cours vers lui et saute à son cou…

Déjà une petite semaine de passée, la sortie de la maternité est programmée pour aujourd'hui. Je vais faire enfin connaissance avec mon petit trésor. Ils ne vont pas tarder. Je défais le nœud de mon tablier. Tout est prêt, juste à temps. La tarte aux pommes sortie du four à l'instant sera refroidie au moment de la déguster. Il s'en est fallu de peu que je leur dise qu'il m'était impossible de les recevoir. Je me suis rendue compte que je n'avais plus assez de pommes et Oh la poisse, tellement pressée que je n'ai pas vu le trottoir masqué par un amoncèlement de feuilles mortes poussées dans le caniveau. Résultat des courses une belle chute et une belle entorse. Les pommes dispersées sur la chaussée… Des béquilles pour quelques jours. Il n'y a pas de doute, je commence bien l'année !

Il fallait que je sache. Depuis plusieurs jours, je ne dormais plus, je ne mangeais plus, je ne parlais plus. Il fallait que je sache. Myriam m'avait parlé de ce grand mage… entre peur et excitation, je pris la décision de le consulter. Il m'a assuré que cette année était une année remplie de joies, d'abondance et de belles rencontres. Son passage a été un peu chaotique jusque-là, entre l'angine et l'entorse mais les présages sont bons pour la suite. Je viens de rentrer ; même si le soleil nous honore de sa présence, il fait très froid dehors, cela a même neigé cette nuit. La maison est vide. Tifaine n'est pas encore là. Les rayons du soleil tapent sur la baie vitrée et apportent une douce chaleur, une lumière toute dorée qui révèle une couleur auburn dans les poils de mon chat noir. Je me suis préparé un capuccino bien chaud, à la noisette. Je reste un moment ainsi en observant mon jardin qui a revêtu un fin manteau blanc. Je n'ai pas pris le temps de protéger mes rosiers…Elle rentre prestement, tape ses pieds sur le tapis d'entrée pour faire tomber les morceaux de neige gelée, enlève gants et manteau. Le bout de son nez est tout rouge et au moment où elle ôte son bonnet, ses cheveux se dressent tout autour de sa tête, l'image d'une ampoule électrique me fait sourire. Il fait meilleur dedans ces temps-ci, pourtant nous n'allons pas tarder à ressortir pour dîner chez Marie et fêter le premier mois de Malo.

Le temps du chemin, la nuit était tombée et le ciel s'était parsemé de mille petits points lumineux. Un en particulier, plus lumineux encore que les autres, attira mon attention. Avant de passer la porte d'entrée, je fis un vœu : « paix et amour dans le monde ». Malo nous accueille tout sourire. La table est dressée, Marie a mis les petits plats dans les grands. Lilian a préparé un vrai festin. Quel dommage, quand arrive la bûche sur la table plus personne n'a faim.

#à nous (challenge d'écriture créative XII/23

La dernière porte

J'ouvre les yeux difficilement. Je frissonne, l'air ambiant s'est rafraîchi depuis quelques jours. De là où je suis, j'aperçois un bout du ciel, parsemé de nuages du gris clair au gris foncé. Le bleu a disparu. La saison automnale s'annonce. Je ferme les yeux et se dessine alors sous mes paumières un paysage vallonné, avec ses forêts de feuillus aux couleurs d'or et de rouille aux nuances intenses. Je m'y promène, la plupart du temps en présence de mes fidèles compagnes, truffes au sol, reniflant la mousse, soulevant les feuilles déposées ici et là, s'arrêtant subitement au pied d'un arbre pour aboyer sur l'écureuil qui, imperturbable, poursuit son ascension... c'est comme si j'y étais, là, maintenant...

Je n'ai pas très faim ce matin. J'ai encore les yeux lourds du sommeil artificiel, et même l'odeur délicate du café qui parvient à mes narines ne m'incite pas à sortir plus rapidement de mon lit. Cela fait un moment de toute façon qu'il ne m'est plus destiné. C'est pourtant un jour heureux, ma fille arrive et pose ses valises à demeure le temps nécessaire ; Hier au téléphone, j'ai perçu un mélange de joie et tristesse dans sa voix. « J'arrive maman, je serai là dans le milieu de l'après-midi, ne t'inquiète pas j'ai mes clés ». De toute façon, je ne serai pas loin, je vais l'accueillir chaleureusement, sereinement. J'ordonne par avance à mes émotions de se tenir tranquilles. J'ai préparé sa venue, tout est inscrit sur un papier posé sur la table de la cuisine. Elle ne va pas chômer... Ses petits, mes petits, restés avec leur père la rejoindront le temps du week-end. Encore un petit instant, dans le confort tout relatif de ce lit, installé au milieu de mon salon depuis déjà de longues semaines, je concentre toutes mes forces, Marianne va arriver d'une minute à l'autre, avec son entrain habituel, cette légèreté joyeuse, laissant comme un courant d'air frais dans son sillon... « Bonjour, bonjour, comment s'est passée votre nuit ? » et sans attendre de réponse particulière, elle tourbillonnera dans la maison et fera la conversation, même aux murs. Je ne serai plus seule et cela me rassure.

La télévision allumée en fond transforme la pièce en dance floor, je fronce les sourcils avant d'ouvrir les yeux pour en atténuer l'intensité lumineuse, je me redresse douloureusement ; il fait sombre, j'allume la petite lampe que Marianne a rapproché de mon fauteuil. Je me suis assoupie, je regarde ma montre, finalement le temps s'écoule plus vite que je ne le pensais. Marianne est partie depuis plusieurs heures et ma fille chérie ne devrait plus tarder. A cette idée, se marque sur mon visage fatigué un sourire, mon corps se relâche de ses tensions, mon esprit s'éclaircit ; je sens la vie s'accrocher à moi, l'envie de faire comme si tout cela n'existait pas, je pince la peau de mes pommettes pour rosir légèrement mon teint cireux. J'attends...

Un doux baiser posé délicatement sur mon front puis un tendre « maman, c'est moi » au creux de mon oreille, elle est arrivée sans faire de bruit, à pas feutrés de peur de me sortir trop brutalement de mon assoupissement. « Je suis là maintenant », ces mots m'apaisent, ma respiration se pose tranquillement, j'aimerai tant la serrer fort dans mes bras, je lui réponds à demi-mot, presque inaudible, « ma chérie, merci » dans mon dernier souffle de vie.

Je continue mon chemin en emportant sa chaleur, son odeur dans mon cœur, je suis heureuse, légère, en paix. Je me laisse conduire par ce halo de lumière blanche intense, le temps s'est arrêté. Tel l'écureuil sur son arbre, je poursuis mon ascension jusqu'à la dernière porte.

#à Nicolle

Maxou

Fin de quatrième, je quittais mon collège de campagne pour intégrer une école privée en ville à une trentaine de kilomètres de chez moi, dans laquelle exerçaient encore des frères. Mon père me déposerait chaque matin avant de se rendre au travail et ma mère ferait le trajet chaque fin de journée. Tout était organisé. J'avais un bon dossier scolaire de mes premières années de collège, ma demande d'inscription avait en conséquence vite reçu une réponse positive. A la rentrée, tout serait nouveau pour moi, nouvel établissement, nouveaux professeurs, nouveaux camarades... et je serai "la nouvelle".

Troisième E, c'est là que tout a commencé entre Maxou et moi. Après plusieurs tours à me perdre dans les couloirs de l'immense bâtiment principal, j'entrai dans la classe indiquée à côté de mon nom inscrit sur une des nombreuses listes d'appel qui couvraient le mur d'information des collégiens. Je parcourus du regard la salle de classe, nous devions être au moins trente et je ne connaissais personne. Une place vide, une seule, à côté d'un garçon. Cheveux blonds, coiffés en brosse hirsute, accoudé à la table, un air de se demander ce qu'il fait là. Je le saluai d'un bonjour presque inaudible avec un sourire non moins timide aux lèvres. Il leva la tête, nos regards se croisèrent et quelque chose se passa.

Maxime Lentrebecq, Max pour les intimes, Maxou pour moi. Dès ce premier jour, j'appris qu'il était le capitaine de l'équipe de foot depuis un moment déjà ; plus tard, je sus que ses parents, des éleveurs bovins de la Meuse, l'avaient inscrit en pension depuis la maternelle, il ne rentrait chez lui que le week-end. J'étais encore très loin de m'imaginer qu'il serait le meilleur voisin de classe, et bien plus encore, dont on puisse rêver. Son charme opéra immédiatement me rendant plus que mal à l'aise. Au fil des semaines, nous créâmes des liens forts, comme fraternels. Moi, aînée d'une famille de trois enfants, lui benjamin d'une famille de quatre enfants, les rôles s'inversèrent naturellement. Maxou devint le grand frère que je n'avais jamais eu et moi la petite sœur tant désirée. Il m'avait surnommée Bleue avec un air moqueur dès le tout premier appel de présence... Bleue comme la nouvelle, bleu comme le pull d'Isabelle Adjani... facile à propos étant donné mon prénom. Même s'il m'avait fortement agacé au départ en me baptisant de la sorte, notre complicité fit rapidement des jaloux et des jalouses autour de nous... Pour alléger nos cartables, nous avions décidé de ne prendre qu'un livre sur deux. Pas de stress pour la panne sèche d'encre dans le stylo plume, la gomme égarée ou la copie double oubliée pour le contrôle d'histoire géographie, nous étions l'un et l'autre toujours prêts à faire face l'un pour l'autre. Le seul moment où nous étions séparés était le temps du cours d'éducation physique et sportive, deux heures deux fois par semaine ; il adorait le sport, moi pas plus que cela. Nous formions un "couple" indicible, à propos duquel de nombreuses rumeurs se firent entendre... "Oh les amoureux!" entre autres choses (ce que l'on peut être stupide à quinze ans), ce qui nous faisait bien rire en fait. Si Maxou avait été une fille, je pense que je lui aurai offert un collier d'amitié "meilleures amies pour toujours" pour sceller notre amitié sincère et entière, un cœur brisé sur le deuxième F de Best Friend Forever pendant à une chaîne et ne demandant qu'à être réuni, à l'occasion de notre anniversaire de rencontre. Très fille, trop fille. A la place, je lui ai offert un maillot de foot bleu marine (clin d’œil à mon surnom) floqué au dos de "Maxou BFF number 1". Cela m'a valu quelque raillerie sur le moment mais croyez le ou non, il le ne quittait plus.

Au fil des mois, des années, nous partagions outre toujours la même table de classe, notre goût pour la littérature et l'art en général, pour les sciences naturelles et la biologie, autant que nos efforts acharnés et payants finalement à suivre les cours de mathématiques et de physique - chimie. Il se destinait à être chercheur en agronomie, moi je n'avais rien défini encore. Nous avions choisi tous deux de suivre une filière scientifique jusqu'au baccalauréat, sainte voie pour ouvrir les perspectives d'avenir en grand...

Dans quelques semaines, nous passerions le bac puis profiterions des grandes vacances pour recharger les batteries avant l'envolée vers les facultés, les instituts techniques... Pour l'heure, les sportifs du lycée étaient sur le pied de guerre ; une rencontre sportive inter lycée était programmée ce week-end ; les équipes de football, handball et du club d'athlétisme de notre lycée et de cinq autres du département allaient s'affronter pour que les meilleurs gagnent. Bien entendu, Maxou était tout excité à l'approche de cet évènement. Aucun sportif n'avait ménagé ses efforts de préparation, enchaînant matchs amicaux et entraînements physiques. La météo devait être clémente durant ces deux jours intensifs et festifs. Les parents d'élèves étaient conviés. Partout dans le lycée, l'effervescence se faisait sentir, l'ambiance était joyeuse et un peu électrique, légère mais sérieuse à la fois.

Maxou et l'équipe de footballeurs se préparaient pour le dernier match, décisif, menant à la victoire sans aucun doute. Nous étions dimanche, le soleil brillait et chauffait presque trop fort. Les lycéens, les parents, les frères et sœurs, les professeurs étaient tous rassemblés autour du stade pour soutenir, encourager les athlètes. La première mi-temps semblait encourageante, d'ici quelques minutes, les joueurs reprendraient leur course vers la victoire. Je ne quittais pas des yeux mon beau capitaine, tout en riant et discutant avec mes amies... Mon statut de bleue était bien loin derrière, même si le surnom était resté, plus affectif que moqueur désormais.